Michael Axworthy - Iran, Empire of the Mind - 1ère partie

Publié le par Xuihtecuhtli

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Partons à présent pour l'Iran, avec un essai du britannique Michael Axworthy ayant pour ambition de nous présenter la totalité de l'histoire du pays, de l'antiquité à la république islamique. En raison de l'ampleur des connaissances exposée, je ferai ici une fiche de lecture en trois parties (et non plus deux comme prévu lors de la rédaction de ce premier article), chapitre par chapitre.


L'auteur


Michael Axworthy a travaillé à la tête du département "Iran" au ministère des Affaires Etrangères du Royaume Uni de 1998 à 2000. Auteur de nombreux ouvrages sur l'Iran contemporain, il enseigne à présent à l'Institut d'études arabes et islamiques de l'Université d'Exeter.


Chapitres I et II : l'Antiquité

 

Le début de l'ouvrage nous rappelle l'opposition fondamentale en Iran entre les sédentaires et les nomades, bien plus indépendants et puissants en raison de leur source de revenu, leur cheptel, qui se déplace avec eux (ils ne sont donc pas tributaire des famines et autres guerres, ou en tout cas à un degré moindre).

 

C'est de ces nomades que seront issus les deux premières tribus qui domineront le pays : les Mèdes, puis les Perses qui les supplanteront, avec notamment la puissante dynastie Achéménide fondée par Cyrus (Kurosh, 559-529 av. JC), roi des rois (Shahanshah, ensuite abrégé en Shah). Le puissant empire qu'il fonde, et que ses successeurs agrandiront, va à l'époque de Darius (Daryavaush, 521-486 av. JC, deuxième grand roi perse) puis de Xerxès (Khashayarsha, 486-465 av. JC) s'étendre de l'Egypte à l'Indus, sans oublier la Thrace européenne.

 

Empire cosmopolite, Michael Axworthy insiste surtout sur sa tolérance religieuse importante (sur fond de mazdaïsme, religion dualiste - basée sur l'opposition entre Ahura Mazda, le bien, et Ahriman, le mal - fondée par le prophète Zoroastre) et son organisation laissant de grandes libertés aux chefs de province, les satrapes, véritables vice-rois.

 

Le pouvoir perse s'effondrera sous le règne de Darius III (336-330 av. JC), suite au trois batailles du Granique (près des Dardanelles), de Issus (sur la côte de la Méditerranée) et de Gaugamela (dans l'actuel Kurdistan irakien), victoires d'Alexandre le Grand. Ce dernier atteint en 330 av. JC la capitale Persépolis, qu'il détruira, mettant un point final au règne Achéménide.

 

Avec Alexandre le Grand, et plus particulièrement son diadoque (διάδοχος, successeur) Séleucos, s'installe en Iran une nouvelle dynastie, les Séleucides (365-250 av. JC concernant leur règne sur la partie orientale de leurs territoires), qui finit par être écrasée par les nomades Parthes venus du sud de la mer d'Aral. Ceux-ci seront eux-même supplantés en 224 ap. JC par la dynastie Sassanide, originaire de la province de Perse. C'est de ces deux dynasties dont il est surtout question dans le chapitre II.

 

Menés par la dynastie des Arsacides, les Parthes mettent en place un début de conscience ethnique iranienne, insistant sur la religion mazdéenne, qui organisée et couchée sur écrit par les Mages sous le règne de Vologèse Ier (Valkash, 51-78 ap. JC) devient le zoroastrisme. Les Sassanides insisteront encore plus sur cet aspect des choses, faisant apparaître pour la première fois le terme d'"Iran", dès le règne du premier d'entre-eux, Ardashir (224-241 ap. JC), qui remplacera également les inscriptions grecques sur ses monnaies par des inscriptions en Pahlavi (Persan Moyen). Ces deux familles sont également en continuité en raison de leur opposition permanente avec l'Empire Romain et son successeur byzantin.

 

Cette période de l'histoire de l'Iran atteint un véritable âge d'or avec le roi Khosrau Ier Anushiravan ("l'âme immortelle", 531-579), adepte du néo-platonisme et de la tolérance religieuse (dans une période faisant suite aux troubles manichéens et mazdakiens, avatars du mazdaïsme), régnant sur un pays dont les satrapes ont depuis longtemps été remplacés par des dehqan (collecteurs de taxes et propriétaires fonciers) et spahbod (commandants militaires) fidèles au pouvoir central. Sa dynastie tombera en déclin sous ses successeurs, jusqu'à la défaite finale face aux Arabes à Nehavend en 642.

 

Chapitre III : L'Iran sous domination étrangère

 

Le chapitre III décrit la très longue période de troubles qui suivra la défaite de Nehavend et la mort à Merv en 651 du dernier souverain Sassanide, Yazdigard III. Le monde iranien, envahi par les Arabes et converti à l'Islam, va successivement être dirigé par des dynasties étrangères, arabes, turques ou mongoles, et ce jusqu'au XIXe siècle. Mais Michael Axworthy insiste dans ce long chapitre sur l'extraordinaire pouvoir de domination culturelle des Persans sur leurs conquérants, qu'il désigne par les termes d'"Empire de l'Esprit" ("Empire of the Mind").

 

Ainsi, pour prendre un exemple probant, la deuxième dynastie à tenir le califat, celle des Abbassides (750 - 1258) est arrivée au pouvoir avec l'aide d'un Iranien, Abu Muslim, qui depuis le Khorassan (nord-est de l'Iran) provoqua une révolte - soutenue à la fois par les dehqan et les colons arabes - aboutissant à la chute des Omeyyades en 750. La nouvelle dynastie, qui à terme s'installe dans la nouvelle ville de Bagdad, bâtie en 762 sur ordre d'Al-Mansour près du site de Ctésiphon (ancienne capitale sassanide), reprend de nombreuses institutions persanes pré-islamiques : ainsi des premiers ministres (vizir) et des ministères (diwan). Au sein du monde islamique, les plus grands savants sont également iraniens (l'exemple le plus connu étant Avicenne).

 

Cette assimilation continuera avec les envahisseurs suivants ; Alp Arslan (1063 - 1072), sultan seldjoukide, eut pour vizir un Iranien, Nizam Al-Mulk. Les Mongols qui dévastèrent la région au XIIIe siècle finirent également par s'islamiser et à s'iraniser, donnant naissance à la dynastie des Ilkhans (1256 - 1353). C'est durant leur règne que vécurent trois des plus grands poètes persans : Rumi, Hafez et Sa'di, sur lesquels l'auteur s'étend longuement. L'art entre en effet dans une période florissante, bénéficiant des échanges avec la Chine, notamment en matière de porcelaine.

 

A ce propos, il ne faut pas oublier que l'Iran se situe en plein milieu de la route de la soie, terre riche attirant les nomades à l'origine des nombreuse familles qui dominent l'Iran à cette époque. Michael Axworthy utilise également les écrits d'Ibn Khaldoun (XIVe siècle) pour expliquer cette succession d'invasions et de dominations : les nomades, soudés par l'asabiyya (forte cohésion due à la nécessité de la vie en communauté pour ces populations) voient celle-ci disparaître quand ils se sont sédentarisés. Ils sont alors soumis quasi-naturellement aux normes des élites déjà présentes, ici les oulémas (les savants musulmans, de l'arabe ʿâlim (عالِم), "qui détient la science"), qui représentent la stabilité, en l'occurrence religieuse.

 

La présence de ces oulémas et de leur madrasas (écoles islamiques, en persan madreseh, مدرسه ) n'ont pas empêché les mouvements religieux de fleurir dans l'Iran médiéval. Ainsi du courant mystique le plus connu de l'Islam, le soufisme, dont l'un des plus grands représentants, le poète Sana'i (XIIe siècle), était Iranien. Les sectes inspirées du soufisme l'ont parfois porté à un niveau extrême (ghuluww), très militariste. C'est le cas d'un groupe créé par Shayk Safi au début du XIVe siècle, les Safavides, ayant pour but de purifier l'Islam et de mettre en place un nouvel ordre religieux sur terre.

 

Chapitres IV et V : l'Iran safavide et son déclin

 

Chah Ismail, le souverain qui en 1501 réussit à s'emparer du trône de Perse aux dépends des Aq Qoyunlu (confédération turque du mouton blanc), avec lesquels il n'est d'ailleurs pas dépourvu de liens familiaux (il descend d'Huzun Hasan - Hasan le Long, 1453 - 1478 -, l'un des plus glorieux chefs Aq Quoyunlu), fait partie de ces Safavides. Aidés de ses partisans, les Qizilbash (chapeaux rouges), il fonde une dynastie qui régnera sur la Perse pendant plus de deux cents ans, et met fin à une période de guerres et de dévastations incessantes. Surtout, il amorce une transformation qui influencera grandement l'histoire de l'Iran pour les siècles à venir : la conversion du pays au chiisme.

 

Le chiisme adopté par les Safavides a pris un caractère extrême, obligeant notamment les croyants à maudire les trois premiers califes Abou Bakr, Omar et Uhtman, successeurs de Muhammad illégitimes selon les chiites, partisans d'Ali, le quatrième calife (assassiné en 661). Situation difficile pour une Perse à l'époque en majorité sunnite. Ce caractère extrême sera encore plus présent sous les règnes de Chah Suleyman (1666 - 1694) et de Chah Huseyn (1694 - 1722). Les minorités juive et chrétienne (Arméniens) y furent victimes de persécutions par la volonté de Majlesi, religieux très influent à la cour et doté du titre de Shaykh ol-Eslam. Les femmes se voient confinées au foyer, les soufis persécutés et les tavernes fermées. A noter que la conversion au chiisme de la Perse aurait plutôt desservi ce mouvement dans l'ensemble du monde musulman : les chiites, considérés comme des espions par l'autre grande puissance de l'Islam, l'Empire Ottoman, furent hors d'Iran persécutés et exterminés.

 

Autre point problématique de la dynastie : ses souverains, tout simplement. Seuls trois d'entre-eux réussissent à sortir du lot :

- Ismail Ier (1501 - 1524), chah fondateur et conquérant de Bagdad en 1508 ;

- Abbas Ier (1588 - 1629), qui a modernisé l'armée - en créant le corps des ghulam, équivalent des janissaires ottomans - et a réorganisé l'Etat en mettant notamment en place les tuyul, terres gérées par des fonctionnaires non transmissibles de façon héréditaire (permettant donc un meilleur contrôle de l'Etat) ;

- Abbas II (1642 - 1666), conquérant de l'Afghanistan.

Les autres rois sont au mieux décrits comme des incapables sans le moindre intérêt pour les affaires du pays, au pire comme des alcooliques sadiques et dangereux. Seul l'art, surtout dans le domaine de l'architecture, a fleuri tout le long de la dynastie, transformant la capitale Ispahan en magnifique cité.

 

  Le caractère médiocre de la plupart des chahs safavides sera à l'origine de leur perte : une révolte en Afghanistan menée par le chef du clan Ghilzai, le sunnite Mir Wais, et son fils Mahmoud, aboutira à la prise de la capitale en 1722 après un long siège de huit mois. Mahmoud (1722 - 1725), s'étant proclamé Chah, et son successeur Ashraf (1725 - 1729) inaugurent pour l'Iran une nouvelle période de guerre et de chaos, période dont il sera question dans le prochain article  .

Publié dans histoire

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