Jean Rousselet - L'allergie au travail

Publié le par Xuihtecuhtli

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L'allergie au travail, dont la deuxième édition est parue en 1974, est un essai du médecin pédiatre et psychologue Jean Rousselet, spécialiste des problèmes de la jeunesse.

Dans ce livre, Jean Rousselet part du constat suivant : la jeunesse se détourne du travail, lui refuse la place qu'il avait avant dans la société, au grand dam de leurs aînés qui pourtant subissent eux aussi le même processus. Après avoir exposé les caractéristique de cette évolution des moeurs, l'auteur en cherche les causes et les possibles solutions.

 

Un désintérêt pour le travail

 

Le rejet du travail par les jeunes et moins jeunes se manifeste pour l'auteur par plusieurs comportements, qu'il expose dans les deux premiers chapitres de l'ouvrage. Est mise en évidence la tendance à repousser le plus possible l'échéance de l'entrée dans la vie active, en allongeant des études, que l'auteur considère parfois comme inutiles d'un point de vue professionnel et sans réel débouché. Egalement, le comportement consistant à enchaîner les petits boulots sans fin est étudiée par l'auteur : l'entrée dans la vie active n'est ainsi pas réelle. Quand enfin celle-ci arrive, la tendance est à donner de l'importance aux aspects matériels plus qu'aux apports du travail en lui-même, qui apparaissent comme négligeables.

 

Ces derniers comportements touchent la jeunesse, mais le principal problème concerne toute la société de la fin du XXe siècle : la valeur travail y a perdu de son importance, non pas au profit de la paresse, mais bien d'autres voies considérées comme étant la clef d'une vie épanouie : loisirs, études, vie familale. Voyant toute une série d'autres valeurs s'opposer à lui, le travail se voit reduit à un simple impôt en temps, à une nécessité pour pouvoir vivre. Faire carrière, s'épanouir dans le labeur n'a que peu d'importance de ce point de vue : l'essentiel est hors du travail. Cela est encore plus vrai pour les personnes excerçant des travaux peu qualifiés et mécaniques : leurs possibilités d'épanouissement et de mise en valeur d'eux-même étant réduites à néant dans leur emploi, leur bonheur doit se trouver ailleurs.

 

La cause principale : le développement de l'information

 

Cependant, les travaux inintéressants ou abrutissants ont toujours existé, sans pour autant provoquer des contestations de ce type. L'auteur cherche donc l'origine de l'émergence de ces comportements au XXe siècle. Il accorde ici une importance primordiale au développement de l'information : l'extraordinaire expension des médias au cours du siècle dernier, notamment au niveau de l'audiovisuel, a permis à l'ensemble de la population d'avoir accès à des informations et connaissances qui leur auraient été inaccessibles 100 ans auparavant.

 

La vie d'autres personnes, d'autres couches sociales, est  ainsi exposée à tous, mais surtout parfois magnifiée par films et reportages parfois loin de la réalité. Pour l'auteur, la réflexion ainsi créée chez ceux que leur emploi ne passionne pas est évidente : envie, et frustration devant ces autres qui ont un travail si intéressant. Un fort sentiment de dévalorisation naît, ainsi qu'un dégoût envers un emploi qui paraît bien médiocre à coté de ce qui est présenté dans les médias.

 

La désillusion de la jeunesse

 

Le sentiment est pire encore dans la population la plus jeune, qui plus que ses aînés a eu l'occasion de faire des études, études souvent plus longue en moyenne que celles de leurs parents : le décalage entre les connaissances et capacités apprises sur les bancs de l'école, de l'université et ce que propose le marché du travail donne aussi cette impression de dévalorisation, et pire ici de désillusion, le jeune actif ayant eu dans sa jeunesse un large exposé du panel d'emplois accessibles suite aux études.

 

En effet, comment avoir confiance en l'avenir quand, dès le collège, premier moment décisif, il nous est demandé de nous orienter vers des voies qui détermineront radicalement nos vies ? Rares sont les adolescents connaissant véritablement ce qu'ils voudront faire plus tard, même vaguement, à ce moment de leur existence. Ils se laissent donc porter, prenant ce qui leur leur reste de disponible suite aux résultats de concours et d'examens, et voient s'envoler les projets qu'ils commencent juste à élaborer. Est créée de la frustration, à laquelle s'ajoute un sentiment d'injustice sociale : c'est aux enfants des élites que sont reservées les meilleures écoles, les meilleurs formations. La reproduction des élites est bien présente pour l'auteur, et entre dans les causes de cette dévalorisation du travail : contrairement à ce qui est proclamé, nous ne sommes pas tous égaux devant lui.

 

Conclusion

 

Quelle solution trouver face un à tableau aussi noir ? Jean Rousselet passe rapidement sur l'amélioration des conditions de travail et la diversification des tâches, oeuvre nécessaire mais sans fin : "les lois de la psychologie et la biologie veulent (...) que les besoins augmentent toujours plus vite que les satisfactions qui leur sont accordées" (p. 229). Les points de comparaison, les inégalités, donc les frustrations seront toujours présentes, tant que le travail sera la valeur proposée par excellence.

 

C'est en effet pour l'auteur dans le domaine des valeurs qu'il importe de mener principalement ses efforts : en présentant le travail comme un moyen de s'épanouir comme un autre, et non plus un but absolu propre à provoquer des frustrations. Il importe de proposer des nouveaux modèles de réussite, différents de ceux proposés par les différentes idéologies composant notre civilisation (du Christianisme au Marxisme), idéologies qui s'appuient encore sur l'unique valeur travail pour la réussite dans la vie.

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J
Tres bonne présentation du livre, claire et allant a l`essentiel. Rousselet ne se contredit-il pas en proposant comme solution des "modeles de réussite" situés en-dehors du travail apres avoir expliqué que la valeur travail a perdu de son importance au profit des loisirs, études ou la vie familiale? Le probleme ne sera-t-il pas en partie résolu par l`intelligence artificielle et la robotique supprimant les boulots ne nécessitant pas de créativité? Un travail créatif est forcément source de joie et il ne manquera plus alors qu`un réajustement des baremes salariaux vers moins d`inégalité. De toute maniere, il me semble que ce siecle et le suivant seront ceux de tres grands changements de mode de vie.
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