Guy Bechtel - Délires racistes et savants fous

Publié le par Xuihtecuhtli

Attention livre proprement délirant, comme l'indique son titre. Après les civilisations précolombiennes, c'est dans l'univers de la science de la fin du XIXe siècle que je vous propose de plonger, avec ce livre de l'historien Guy Bechtel (connu notamment pour son Dictionnaire de la Bêtise, en collaboration avec l'écrivain Jean-Claude Carrière). Une véritable plongée dans les avatars les plus dégénérés du positivisme.

Structure

Dès son introduction, l'auteur nous annonce la couleur. Il nous exposera trois cas de savants ayant écrit des choses totalement folles. En effet le programme est assez ... particulier :

"    - Est-ce que le criminel-type, sauf à de rares exceptions, se signale à l'intention du criminologue avisé par un cerveau à peine plus gros qu'une orange et surtout une énorme machoire, rappel du fait qu'il n'est qu'un singe dégénéré vivant parmi nous ?
    - Est-ce que Jésus, victime de son hérédité d'alcoolique, n'a été qu'un illuminé tuberculeux, dans ses derniers jours atteint d'un épanchement pleurétique siégeant vraisemblablement du coté gauche ?
    - Est-ce que l'Allemand, en raison de son alimentation comme de sa constitution, produit quotidiennement beaucoup plus de matières fécales que les autres Européens ?"

Délit de faciès

Ce programme alléchant commence donc par une étude du cas de Cesare Lombroso. Ce dernier, médecin italien de son état, tente en 1876 avec son livre L'Uomo criminale (L'Homme criminel) de nous prouver que le criminel se reconnaît par un type physique et psychologique des plus précis. En digne héritier de la craniologie (science de la mesure des crânes, qui de par son caractère vain et les falsifications de ses résultats apporta de nombreux arguments aux théories racistes), il se propose d'exposer ses critères, aidé de maintes planches illustratives. Le criminel a des oreilles énormes, un cerveau minuscule, de longs bras qui le rapprochent du singe. Selon son activité (voleur, escroc, violeur, brigand, etc.), ces caractères changent. Le tout appuyé par une foule de références sorties d'on ne sait où, et où figurent même des opposants à Lombroso (sic). Le pire est que cet ouvrage eut un grand succès à l'époque, et que l'auteur fit de nombreux émules. Il fallu attendre le début du XXe siècle pour le voir désavoué.

Jésus le malade mental

Le second cas étudié par Guy Bechtel concerne cette fois-ci le docteur Binet-Sanglé. Français, vivant dans une ère de lutte entre Eglise et Etat, celui-ci eut l'idée géniale d'examiner Jésus d'un point de vue médical à partir d'Evangiles officiels et apocryphes. En résulte son livre La Folie de Jésus (1908). Athée particulièrement acharné (l'extrêmisme n'est pas l'apanage de la religion), il y raconte des choses très curieuses : Jésus serait atteint de folie mystique, tuberculeux, faible physiquement, coincé au niveau sexuel et masturbateur, orgueilleux, instable, etc. Et tout cela serait dû au fait qu'il serait né dans une famille d'alcooliques mystiques. Chaque acte de sa vie y est exposée de ce point de vue : le sang qui s'échappe quand il reçoit un coup de lance ? c'est son épanchement tuberculeux au coté gauche ; le diable qu'il affronte dans le désert ? sa folie lui fait entendre des voix ; sa fuite au Temple à 10 ans ? il souffre de dromomanie (tendance maladive à la fugue) ... Mais le pire reste à venir.

Les Allemands : usine à fèces ?

Il s'agit en effet du docteur Bérillon qui a mon humble avis remporte la palme en cet ouvrage. En pleine première guerre mondiale, celui-ci a écrit tout un livre pour prouver que les Allemands constituent un peuple à part. Pourquoi ? à cause de leur constitution grasse, de leur alimentation qui ne l'est pas moins (et due à une tendance ... héréditaire), de leur tendance au grotesque, de leur odeur putride, et surtout de leur quantité énorme de matière fécale qu'il produisent par rapport à leurs voisins (caractèristique appelée, pour faire savant, polychésie) ! Pour cette dernière, Bérillon s'appuie sur diverses anecdotes à la véracité douteuse, disant que l'on peut suivre l'armée allemande aux fèces qu'ils laissent sur leur route, à leur manie de déféquer n'importe-où dans les pays occupés (tiroirs, pots de confitures ...). Il dit même que l'on a dû dégager d'une usine où avaient logé 500 Allemands plus de 30 000 kg de matière fécale (soit une moyenne d'environ 3 kg de déjections par homme et par jour tout de même ...). A noter que Bérillon, encore en vie lors de la seconde guerre mondiale, échappa de justesse à la déportation ... les Allemands n'avaient pas oublié ...

Un épilogue invitant à la réflexion

  L'ouvrage se termine enfin sur un long épilogue qui est une intéressante réflexion sur les imbécilités que peut édicter la science quand elle cherche à tout expliquer, passant parfois par la falsification (cf la craniologie) pour en arriver à ses fins. Egalement, Guy Bechtel met en relation ces délires positivistes avec l'actuelle manie pour la génétique, soi-disant clef de l'explication de la nature. Pourtant, comme le rappelle l'auteur à la fin de son épilogue, ces chercheurs proférant des sottises sont utiles, car c'est en réinvestissant ses erreurs que l'on progresse.

Conclusion

Donc (comme d'habitude), un livre à lire, et qui a surtout l'avantage de traiter d'un sujet dont on parle peu. En plus il m'a parfois fait rire aux larmes, alors pourquoi s'en priver ?

Publié dans histoire

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