Michael Axworthy - Iran, Empire of the Mind - 2e partie

Publié le par Xuihtecuhtli

l9780141036298Dans le précédent article sur le livre de Michael Axworthy, Iran, Empire of the Mind, nous avons laissé la Perse dans une important crise due à la chute de la dynastie Safavide et à l'invasion afghane.

 

Chapitre V : Un XVIIIe siècle sanglant  

 

Ces tristes événements attirèrent vite l'attention des adversaires de la Perse, au premier rang desquels les Russes de Pierre le Grand, qui s'emparent de la côte sud de la Caspienne, et l'Empire Ottoman qui met le pied à l'ouest. La population, appauvrie par la guerre, est victime de l'esclavagisme de leurs voisins occidentaux - qui peut s'appliquer aux Chiites, vus comme des hérétiques ; Mir Veis avait d'ailleurs obtenu à la Mecque une fatwa (فتوى, "avis juridique") l'autorisant à combattre les Safavides pour cette raison - et de la haine des Afghans, qui bâtissent tout un système au sein duquel les Persans sont au dernier rang.

 

Cependant, la résistante est présente et finie par être victorieuse sous la bannière de Nader Qoli Khan, qui reprend Ispahan en 1729. il régnera alors en maître sur le pays, tout d'abord derrière deux Chah safavides fantôches, Tahmasp II et Abbas III, avant de se faire lui-même couronner après acclamation populaire en 1735. Génie militaire, Nader Shah, car c'est ainsi qu'on le qualifiera à présent, va reconquérir les territoires perdus et constituer un empire qui s'étendra du Tigre à l'Indus. Souverain tolérant, notamment du point de vue religieux, son comportement va dégénérer à partir de 1740, déroutés par les nombreuses révoltes dues à ses impôts de guerre. Nader Shah mourra finalement assassiné en 1747.

 

Ses successeurs se révéleront incapables de contenir la guerre civile qui s'annonce. Tout comme au temps d'Alexandre le Grand, les généraux du souverain défunt se partagent son empire :

- Ahmad Khan Abdali retourne en Afghanistan où il deviendra padishah ("grand roi") et fondera la dynastie des Durrani ;

- Erekle (Heraclius), géorgien, fut à l'origine de la dynastie Bagration qui unira la Géorgie orientale ;

- Karim Khan Zand s'empare de la Perse, où il prend le titre non de Chah mais de Vakil-e ra'aya (régent du peuple). Son règne (1759 - 1779) fit l'effet d'une pause pacifique dans un pays épuisé par la guerre, passé de 9 millions d'habitants en 1700 à 6 millions en 1750.

 

A la mort de ce dernier, l'Iran replonge dans le chaos avant d'être le théatre d'une lutte sanglante entre d'un coté Lotf Ali Khan Zand, descendant de Karim Khan, basé à Chiraz, et de l'autre Agha Mohammad Khan, de la tribu des Qadjars, basé à Téhéran. Châtré par les Afghans Ghilzai pendant son enfance, frustré et instable, Agha Mohammad va se révéler un chef cruel et sadique, accumulant les horreurs (il aveugle ainsi toute la population mâle de la ville de Kerman, qui lui avait résisté). C'est finalement lui qui gagnera la guerre, se faisant couronner Chah en 1795 ; son règne fut de courte durée, se soldant par son assassinat en 1797.

 

Malgré ces nombreux troubles, Mickael Axworthy insiste sur l'effervescence religieuse au XVIIIe siècle, préparant le terrain aux futures révolutions des XIXe et XXe siècles. S'organise en effet le chiisme, à la suite de la querelle entre akhbani et usuli, partisans les uns de la tradition, les autres de la raison (reprenant un vieux débat musulman). Victoreux, les  usuli, qui insistent sur la nécessité de l'interprétation des textes à l'aide de longues études et du choix d'un modèle illustre parmi les mojtahed (spécialiste de l'itjihad, l'interprétation). Ces derniers, selon leurs connaissances, accèdent à plusieurs titres dont les plus élevés sont hojjatoleslam ("preuve de l'islam"), ayatollah ("signe de Dieu") et grand ayatollah. En parallèle de cela se développe une religion populaire, dont les éléments les plus voyants sont les processions et le théâtre (ta'zieh, proche des mystères médiévaux en occident).

 

Pour revenir à l'histoire politique, le XVIIIe siècle se termine avec l'arrivée de la dynastie Qadjar, fondée par le neveu d'Agha Mohammad, Fath Ali Shah (1798 - 1834). Son règne fut une période de paix doublée d'une certaine prospérité, mais qui vit le début d'un phénomène inquiétant : en pleine période de guerres napoléoniennes, la Perse se retrouve bousculée diplomatiquement entre l'Angleterre et la France, chacun cherchant à empêcher l'autre de dominer l'Iran. S'y ajoute la menace russe, qui aboutit à plusieurs guerres dont les résultats désastreux seront les traités de Golestan (1813) et de Turkmanchai (1828), entérinant la perte du Caucase et donnant des avantages économiques à la Russie en territoire persan.

 

Chapitre VI : Crise et chute de la dynastie Qadjar

 

Ce ballotage diplomatique de la Perse sera le fil rouge de tout le XIXe siècle. Le Grand Jeu, impliquant anglais et russes, continue ainsi sous les règnes de Mohammad Shah (1834 - 1848) et Naser od-Din (1848 - 1896). Les relations avec le Royaume Uni donnent lieu suite à affrontement à la paix de Paris (1854), où l'Iran renonce à ses vues sur l'Afghanistan. De l'autre coté, le Tsar semble aider le Chah en mettant en place une brigade de cosaques iraniens en 1879, mais commandée par des officiers russes. Enfin, l'Iran est soumis au système des concessions, qui certes permettent une certaine modernisation du pays mais aussi une perte de souveraineté (concession Reuter, à l'instigation du premier ministre Mirza Hosein Khan).

 

La Perse tente pourtant de se moderniser, mais les obstacles sont nombreux. Sous Naser od-Din, le grand vizir Amir Kabir met en place des écoles nationales - dont le Dar al-Funun, de type Polytechnique - et une reforme des finances de l'Etat. Il tombe en disgrâce en raison du mécontentement des courtisans, dont il souhaitait baisser les rentes. Les troubles sociaux et religieux sont également présents, avec l'émergence de la foi Baha'i (qui apparaît en 1844, centrée autour d'un individu vu comme le Bab - la porte permettant de communiquer avec Dieu - mille ans après la disparition du douzième imam), mais aussi avec la poussée des revendications contre les étrangers et leurs concessions, fortement teintées de religion (avec l'activiste al-Afghani). En 1896, le Chah est assassiné par Kerbani, partisan d'al-Afhgani, alors qu'il visitait le temple de Shah abd-ol Azim, près de Téhéran.

 

Les ennuis continuent sous Mozaffar od-Din (1896 - 1906). La dette de l'Etat iranien se creuse, en raison des nombreux emprunts aux occidentaux (notamment la Russie). Ces mêmes occidentaux bénéficient d'avantages économiques considérables, ce qui déplaît aux marchands des bazars. Le ministre des Finances lui-même est européen : le belge Joseph Naus.

 

En 1905, les tensions aboutissent à un soulèvement conjoint des marchands et des oulémas, sous la direction des mojtaheds Behbehani et Tabataba'i. Leurs revendications portent sur un renforcement de la charia (loi musulmane, en arabe الـشَّـرِيعَـة, « la voie »), la rédaction d'une mashruteh (constitution) et l'instauration d'un majles  (مجلس, "parlement", venant d'un mot d'origine arabe pour "endroit où l'on s'assoit"). Ces demandes seront cependant satisfaites dès décembre 1906.

 

Un majles est ainsi mis en place, élu au suffrage censitaire indirect, donc représentant surtout les acteurs de la révolution dite constitutionnelle, les religieux et les marchands. A noter toutefois que les minorités religieuses disposent de sièges dédiés. Le majles sera vite le théâtre de la classique lutte entre conservateurs et libéraux. C'est lui qui rédige la mashruteh, inspirée de la constitution belge. S'y trouvent le refus du pouvoir politique d'essence divine, la consécration de la charia comme loi et du chiisme comme religion d'Etat, et la protection des minorités. Mozaffar od-Din mourra quelques jours après avoir accepté le texte.

 

Son successeur, Mohammad Ali Shah (1906 - 1908), est obsédé par l'idée de revenir à l'ancien système. Allant à l'affrontement avec le majles, il fait en 1908 fermer ce dernier, ce qui provoque un soulèvement populaire. Malgré l'aide russe en faveur du Chah, les révolutionnaires finissent par prendre Téhéran avec l'aide de la puissante tribu des Bakhtiari. Le Chah s'exile, et un nouveau parlement est élu. Une gendarmerie est entraînée avec l'assistance des suédois pour faire contrepoids aux cosaques, trop proches de la Russie. Sous le règne du nouveau souverain, Ahmad Shah (1908 - 1926), la Perse se rapproche des Etats-Unis, y choisissant son nouveau ministre des finances, Morgan Schuster. Cette présence américaine déplaît aux Russes, qui font à nouveau tomber le majles en 1911.

 

Lorsque commence la Première Guerre Mondiale, la Perse se déclare neutre. Sa situation géographique aidant, le pays ne sera pourtant pas épargné par le conflit. Aux Nord et à l'Est, les Britanniques et les Russes se méfie de l'avancée de l'Empire Ottoman à l'Ouest, soutenu par l'Allemagne et notamment l'aventurier Guillaume Wassmuss, souvent comparé à Lawrence d'Arabie. La Perse se retrouve au milieu d'une guérilla, le Royaume-Uni voulant à tout prix y protéger les champs de pétrole du Khuzestan (depuis 1912, le pétrole remplace le charbon dans la marine britannique). S'ajoute à cela la révolte des Jangali (tendance bolchevique), au sud de la Caspienne.

 

  A la fin de la guerre, la Perse se retrouve ainsi bien abîmée. La révolution russe lui a faire perdre une bonne partie de ses débouchés au niveau du commerce extérieur, qui se faisait à 62 % avec l'empire des Tsars. En 1919, le pays devient protectorat britannique, au grand dam de la majeure partie de la population. L'agitation monte, et les généraux anglais décident de lâcher du lest. Egalement, ils commencent à entraîner des Persans pour diriger à la place des Russes le corps des cosaques. L'un d'eux, Reza Khan, est promis à un grand avenir. Rendez-vous dans le prochain article pour en savoir plus à son sujet.

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Publié dans histoire

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